Conseil municipal où l’on parle mitrailleuse…
C’est à la fin de la réunion du conseil municipal que l’annonce a été faite à la surprise générale. Le maire prit la parole « j’ai bien réfléchi à la situation actuelle… » les élus et les habituelles personnes présentes, George et Armelle les épiciers de la rue des Allergues, Olivier le contact du journal régional, Jean Yves l’ancien maire, viré pour cause de trafic d’influence mais qui se préparait à revenir dès que sa peine sera terminée, et quelques autres têtes qui m’étaient inconnues… deux jeunes curieux, un gars avec une cravate à rayures noires et blanches qui semblait connaître le maire car il avait fait un petit signe avant la prise de parole, et une jeune femme qui devait attendre l’élu qu’elle ne quittait pas des yeux depuis le début de la séance…
« Alors pour rétablir le calme et le maintenir à long terme, je pense qu’il est temps de prendre des décisions fortes et une en particulier… »
Il fit une pause, satisfait de l’attention qui lui était soudainement portée…
« Les caméras étaient une bonne décision, l’entretien et les surveillants sont chers mais ça a permis de faire fuir les éléments les plus agités vers la périphérie… »
Les têtes opinèrent de manière consensuelle autour de la table et dans l’assistance…
« Cela étant, dit le problème s’est surtout déplacé ailleurs !! loin du centre, loin du cœur des élus !! » c’était Ludo, le chef de l’opposition qui venait de placer la banderille avec sourires entendus avec certains élus…
« Exact, repris le maire, la police municipale avec des armes de poing puis des outils plus sérieux ainsi que des caméras en continu ont répondu au moins partiellement à cette situation »
Têtes consensuelles à nouveau, y compris Ludo et consort
« Je le reconnais Monsieur le maire des progrès avaient été observés et mesurés jusqu’à l’année dernière où les bandes se sont organisées et surtout armées. Elles sont de retour un peu partout y compris dans le centre… » le maire lui coupa la parole « …avec encore plus de risques pour la population je le sais » Je me décidai alors à prendre la parole aussi « tout le monde est donc d’accord pour dire que l’escalade est en cours… on va aller jusqu’où cette fois ? » Le maire se tourna vers moi « mais mon cher Patrick le choix est simple comme vous le savez très bien en tant que responsable de la sécurité de la ville, on se bat ou on se couche… » l’allusion était directe, la semaine dernière au cours la dernière attaque de la supérette du marché j’avais retiré les forces municipales de la place centrale pour éviter un bain de sang… résultat la supérette avait été vidée de son argent et de son contenu de valeur. Les gangs riaient sans doute encore de l’aventure en terminant les bouteilles alcoolisées ou non qu’ils avaient emportées … « et avec une poignée de morts, vous diriez quoi monsieur le maire ? » « Une poignée d’ennuis pour l’avenir, voilà ce que je dis aujourd’hui » je compris qu’il était plus prudent de me taire au moins provisoirement…
« Où en étais-je… ah oui, une vraie décision s’impose donc… après avoir étudié les divers règlements et lois en cours, il s’avère qu’une solution existe, cela va consister en l’achat et l’installation d’une mitrailleuse lourde… » les regard se croisèrent, les langues se délièrent, les insultes volèrent, le maire attendit le retour au calme…
La mitrailleuse arrive
« Monsieur le maire, vous plaisantez, une mitrailleuse lourde c’est sans doute formellement interdit !! » « Et en plus c’est trop dangereux… » « Et qui va la faire marcher… » « c’est n’importe quoi !! » « De toute manière c’est réservé à l’armée ce truc !! » « Une mitrailleuse tu parles ! un bazooka ou un char pendant qu’on y est » « voilà qu’il se prend pour un général d’armée maintenant » « la seule mitrailleuse à conneries ici c’est le maire » « « arme de réélection massive ce truc… »
« Mesdames, messieurs je vous en prie !! du sérieux et du silence !! » le brouhaha s’affaiblit doucement et s’éteignit brutalement. Le maire se raclât la gorge…
« Une mitrailleuse est un engin de guerre qui doit rester entre les mains des militaires… » l’assemblée retenait son souffle « mais une antiquité peut tout à fait être entre les mains de civils, surtout si, officieusement elle est neutralisée et officiellement fonctionnelle… j’ai donc décidé d’acheter une mitrailleuse datant de 1918 et de la mettre en position au sommet du clocher, à ce jour aucune opposition formelle de la préfecture est apparue, donc on y va » Il se tourna vers moi « Patrick vous serez le premier à l’utiliser, vous partez demain la chercher à Douaumont » La faillite du musée de la guerre à Verdun avec impossibilité de subventionner, libéralisme oblige, avait obligé la mise en vente de tout le matériel disponible.
Dans le calme de la chambre à coucher mon épouse, se tournant vers moi, me demanda soudain « mais c’est quoi finalement cette histoire de mitrailleuse ? » « J’ignore tout de cette histoire » lui avouai-je « mais tu es responsable de la sécurité non ?! » « C’est exact, mais là il semble que tout se soit passé en dehors de moi » « Franchement c’est du n’importe quoi ce truc !! une mitrailleuse sur le toit de l’église ! avec toi en mitrailleur !! ça va faire le tour des réseaux sociaux en 5 minutes !! on va avoir tous les journalistes sur le dos dans les jours qui viennent, sans compter tous les curieux qui vont vouloir voir ça !! en fait de tranquillité on va être servi !! » « Le maire a exigé le secret sur tout ça jusqu’à ce que tout soit en place… » « exigé, exigé… et comment va-t-il faire respecter ça ? » « Il semble qu’il a l’aide du gouvernement pour bloquer toutes les infos qui circuleront là-dessus » « mais ça va mener où tout ça » « je l’ignore et ça m’inquiète un peu… » « et bien on est deux, sauf que moi, ça m’inquiète beaucoup… » sur ce elle se retourna et entrepris d’aborder une nuit qui se révéla agitée aussi bien pour elle que pour moi.
Le lendemain, je partis avec deux collègues et une camionnette de la ville pour récupérer le joujou antigang de monsieur le maire, l’aventure pouvait commencer…
La chose était stockée dans le mémorial de Verdun, au loin, derrière les rideaux d’arbres on apercevait la pointe de l’Ossuaire de Douaumont… là-dedans il y avait peut-être des victimes de l’engin que je venais chercher. Un frisson me parcouru en songeant à cela… il me revint un souvenir de lecture dans laquelle il était décrit qu’une mitrailleuse avait tiré sans discontinuer pendant des semaines entières, ou des jours, je ne sais plus, en tous les cas pendant des heures elle avait déversé la mort à distance…
L’accueil du gardien fut aussi chaleureux que possible vu la situation. Il était le dernier présent dans le mémorial. Après avoir chargé, non sans difficulté, la mitrailleuse et les caisses de munitions « 25 kilos pour la mitrailleuse, 25 kilos pour le coffre, 10 bandes articulées de 251 coups pour un poids total de 95 kilos, emballage inclus » m’annonça le gardien « vous buvez un coup avant de repartir ? » il devait s’ennuyer ferme le dernier des Mohicans… nous nous attablâmes au dernier étage dans la salle pédagogique qu’il avait semble-t-il investit pour en faire son lieu de vie solitaire. Sortant vin, bière et Mirabelle de Lorraine à 45 degrés d’alcool, il nous résuma la situation et sa vision d’avenir. Nous le quittâmes, lui rasséréné, nous déprimés, et le chemin du retour se déroula dans le même silence que le chemin de l’aller.
La mitrailleuse s’installe…
Monsieur le maire nous accueilli dans la cour arrière de la mairie. Il était venu avec les trois policiers municipaux sous mes ordres. Une autre personne l’accompagnait, un gars avec une cravate à rayures noires et blanches. Il ne se présenta pas, j’en fis de même. La plateforme au sommet du clocher de l’église avait été installée pendant mon absence, les matériels y fut installés avec une rapidité qui me surpris agréablement. J’avais envie de prendre un peu de repos à la maison quand le maire me pris à part et me confia dans l’oreille « Patrick, vous partez de suite avec vos trois collaborateurs vous former à l’utilisation du matériel, Monsieur Vlaminck vous pilotera pendant le stage, faites-lui confiance c’est un bon… » c’est ainsi que je fus introduit auprès du gars à la cravate. D’après mes collaborateurs les rayures étaient blanches et noires…
Finalement, apprendre à utiliser cet engin fut très facile… sans doute pour permettre à n’importe quelle personne de prendre relais du tireur ayant lui-même intercepté une balle venue d’un engin de mort. Si à chaque fois un stage de 8 jours se révélait indispensable au bon fonctionnement de l’engin, les guerres seraient devenues interminables. Ceci serait alors en totale opposition avec le fait qu’une belle et bonne mitrailleuse, efficace dans l’éradication des vies, a pour objectif affiché de terminer les conflits rapidement. Le seul souci délicat à régler était de faire en sorte qu’une seule personne devait piloter l’utilisation d’un engin qui en nécessitait deux ou quatre lors de sa mise au point. Les différentes aides techniques présentées me permirent d’avoir une certaine confiance dans le futur usage militaire de la chose…
Une réunion avec le maire ainsi que monsieur Cravate Rayée comme je l’avais désormais surnommé, nous permis d’organiser la maintenance et surveillance de la mitrailleuse. En tant que responsable, j’héritai des nuits de vendredi et samedi qui sont les deux moments clés de la semaine en terne de raids des gangs. Depuis l’interdiction des éclairages, l’utilisation des lunettes de vision nocturne permettait de repérer rapidement les déplacements de tous les quidams, perturbateurs ou non, dans l’ensemble des rues de la commune. La position centrale de l’église ainsi que la géographie des lieux faisaient que la quasi-totalité des rues et autres artères de la ville pouvait aisément être surveillée depuis ma plateforme d’observation. En bon général, Monsieur le Maire avait fait disposer des mini-caméras infra-rouge dans les zones qui étaient invisibles, aussi étais-je prévenus des déplacements invisibles…
De manière surprenante, la nouvelle de l’installation de la mitrailleuse était restée circonscrite à la commune et ses environs… Cravate Rayée avait frappé fort et la moindre information sur les réseaux était impitoyablement bloquée. Les principaux intéressés, bonnes gens comme maras et autres pachucos, semblaient avoir compris les enjeux… les premiers disaient être ainsi protégés, donc toute publicité serait le risque de voir une interdiction de la chose. Quant aux seconds ils craignaient sans doute d’être moqués s’ils ne parvenaient pas à éliminer une pétoire datant d’un siècle et plus.
Enfin c’est ce que j’imaginais en m’installant dans ma tour de bois ce premier vendredi soir. J’avais prévu les équipements contre la fraîcheur du soir et du petit matin, la boisson saine et la nourriture légère agrémentée de confiture de myrtilles bien entendu. Un premier tour d’horizon me permis de constater l’absence de toute activité humaine dans le périmètre de vision. Les caméras confirmèrent la présence d’un désert humain dans les rues.
La mitrailleuse attend…
Cette première nuit fut donc calme et sereine. J’admirais le ciel étoilé ponctué de quelques rares nuages éclairés par un quart résiduel de lune. C’était un des avantages de l’absence d’éclairage nocturne, on pouvait redécouvrir la Grande et la Petite Ourse voire rechercher tout ou partie des 86 ou 87 autres constellations répertoriées. Il est exact que ce n’était pas le but premier de mon séjour en hauteur mais j’avoue être parti de la réflexion que les gangs utiliseraient en priorité les zones de rue invisibles depuis mon poste afin de m’approcher discrètement. Ce seraient sans doute les caméras qui me préviendraient avant mes yeux… Je validais toutefois toutes les dix ou vingt puis trente minutes la situation périphérique par un tour d’horizon avec lunettes de vision nocturne.
Je décrivais rapidement à mon épouse la nuit passée en hauteur, le rapport officiel fut envoyé à Monsieur le Maire et à Cravate rayée et je me préparai à la seconde nuit de veille en investissant mon lit.
La seconde nuit fut aussi calme et sereine que la première. De manière surprenante, les autres nuits de cette première semaine furent tout aussi calmes. « Avant la tempête » décréta Monsieur le Maire en grattant son menton de son habituel index droit. Je craignais qu’il eût raison, la crainte se confirma le vendredi soir suivant.
Parfois on sent les choses, pas comme un Grand Bleu ou un Golden, mais il semble que des ondes venues d’ailleurs arrivent en cascade dans votre esprit « ça va déconner aujourd’hui ». Enfin dans le cas présent « ça va déconner cette nuit ».
Les nuages étaient présents, en ordre serré, mais retenant leurs ondées au moins provisoirement. Le vent venait de l’ouest, faible et doux, je vérifiais le bon état de la mitrailleuse, le canon luisait faiblement, la bande de cartouche était enclenchée, le plateau général tournait sans blocage et permettait d’orienter le canon à 365 degrés comme initialement prévu.
C’est alors que la caméra 23, Rue Fanin, ouest 2.5 km, fit entendre son alerte, la 25, Avenue Morillon, nord, 1.5 km et la 31, Place des Quinoas, sud, 2 km, se firent aussitôt entendre afin de me confirmer que quelque chose de désagréable se profilait à l’horizon. J’enfilais mes lunettes de vision et j’observai successivement dans les trois directions. Je réalisai soudain qu’avec un seul homme avec trois directions d’alerte, dans des zones où je ne pouvais rien voir de précis, la situation devenait compliquée, voire complexe. Je me dis alors que je pourrais repérer les intrus au moment où ils sortiraient de la rue Fanin, de l’avenue des Morillons et de la Place des Quinoas à condition que je renonce à regarder dans la seule direction sans alerte à savoir l’est de la commune qui était en quasi-totalité visible depuis mon poste de guet… chercherait-on à me tromper en attirant mon regard dans des directions opposées à la direction d’intérêt majeur. Je décidai d’explorer en détail la zone sans alerte de caméras.
Mon intuition se révéla positive, car dès l’exploration visuelle de l’Avenue de la Liberté, j’aperçus un gang d’une vingtaine de quidams en noir vêtu avec cagoules assorties et armes légères en main avancer en deux files indiennes le long des façades de chaque côté de l’avenue. Dans quelques instants ils allaient aborder la traversée de la Grande Allée ou, pendant une trentaine de mètres ils seraient tous à découvert, surtout s’ils se sentaient suffisamment forts pour traverser tous ensembles. Je fis pivoter la mitrailleuse. Le doigt sur la détente, je réalisai soudain que l’engin entre mes mains allait à nouveau donner la mort et que c’était moi qui allais décider de cela. Enfin non, c’était Monsieur le Maire et Cravate Rayée qui pilotaient cela, je n’y étais pour rien, j’étais la main armée, pas le cerveau.
Ils prirent le risque de traverser tous ensembles. Je fus surpris de la rapidité avec laquelle une mitrailleuse plus que centenaire peut venir à bout d’une trentaine de non-centenaires en quelques secondes. Les trépidations résonnèrent dans mes avant-bras pendant de très longues secondes… je restai immobile pendant de longues secondes, réalisant soudain ce que je venais de faire. Les alertes simultanées des trois caméras me tirèrent de ma torpeur, je lâchais la mitrailleuse et regardai successivement dans les trois directions pour apercevoir trois petits groupes fuir en courant vers l’extérieur de la ville… je n’eus pas le courage de reprendre le tir. J’entendis au loin les sirènes des secours et les éclats lumineux qui les accompagnaient, mon téléphone se mit à sonner « Patrick ! que s’est-il passé ? répondez bon sang !! vous êtes là ?! mais répondez !!! » non, j’étais muet, pétrifié et muet… monsieur le Maire allez-vous faire voir….
La mitrailleuse monte au ciel…
Le reste de la nuit fut particulièrement compliqué… les secours, la police, non municipale cette fois, le Maire et Cravate Rayée, la foule qui grossissait sans cesse autour du croisement meurtrier, les questions qui fusaient, les corps recouverts, les corps enlevés, les 23 corps enlevés, les 23 morts enlevés, mon œuvre… en final.
J’eus droit à ma première télévision… après avoir préparé les questions et réponses avec Monsieur le Maire, Cravate Rayée et un spécialiste de la communication, je me retrouvai sur le plateau des informations du 20 heures face à deux journalistes. J’avoue avoir perdu le souvenir aussi bien des questions que des réponses.
C’est le lendemain de l’émission que vers 7h30, le téléphone sonna. Rien d’étonnant car depuis la diffusion de l’événement, les coups de fils se succédaient sans discontinuer et je laissais le répondeur travailler à ma place. Entre les chefs de gangs, les voisins, les fous et autres personnes normales voulant donner leur avis, conseils encouragements et menaces diverses, je sélectionnais rigoureusement mes choix de réponses.
Cette fois c’était Monsieur le Maire « Patrick appelez-moi d’urgence, je viens de recevoir un message, il y a un souci » message court et précis qui m’indiqua que, sans aucun doute, je faisais désormais partie d’un groupe appelé à être appelé dans les jours à venir.
Il décrocha à la première sonnerie « Patrick, le Vatican vient de me contacter » « Le Vatican ? diable ! pourquoi le Vatican ?! » « Pas au téléphone, venez me rejoindre, je suis au Moulin Bleu, c’est plus calme qu’en ville, sortez par le jardin si non vous aurez une meute à vos trousses ». Effectivement, je n’avais pas remarqué les voitures et autres camionnettes arborant les noms de diverses chaînes d’informations en continu et de quelques associations aux noms tels que « La France aux Bonnes Gens » « Éliminer les Gangs » et « Pour le Retour d’une Vraie Justice ».
J’arrivai au Moulin Bleu par le chemin du même nom qui longeait la rivière du même nom, preuve de la créativité sans cesse renouvelée des habitants du cru, et le Maire me fit entrer discrètement tout en vérifiant du regard l’absence de toute personne ayant eu l’idée de me suivre.
« Alors le Vatican ? » « C’est simple, le Pape a été surpris de cette histoire de mitrailleuse » « Ah bon ? le sabre et le goupillon recommencent ?! » « J’ignore de quoi vous parlez » « et bien c’est Clemenceau… » « Je me fous de Clemenceau !! j’ai eu le Pape au bout du fil à cause de votre mitrailleuse… » « MA mitrailleuse ?! » « Ne jouez pas au malin avec moi Patrick, c’est vous qui avez tiré non ?! et maintenant le Pape m’appelle » je compris qu’un la discussion avait mal débuté et je proposai une trêve « Bon d’accord, si j’ai bien compris, j’ai tiré à la mitrailleuse et il semble que cela a touché le Pape » « En résumé oui, en détail, il veut que la mitrailleuse soit bénie car elle officie depuis le clocher d’une église ». Je restai sans voix. « Il veut bénir la mitrailleuse ? » « Lui ou un sous-fifre quelconque, peu importe… » « il veut envoyer des balles bénies c’est ça, des BB quoi… » « Des bébés ? que voulez-vous dire ? » « Laissez tomber, je plaisantais, alors on fait quoi avec cette bénédiction ? » « J’attends Monsieur Jude qui doit arriver dans quelques minutes »
L’homme à la cravate rayée, c’était lui Monsieur Jude, arriva quelques minutes après. Mis au courant de la situation, il demande un temps de réflexion, pris son téléphone, discuta de ci de là avec d’éminents confrères spécialistes de différentes choses importantes au-delà de nos sphères personnelles et se tournant vers nous annonça « On arrête la mitrailleuse, descendez là du clocher et enlevez la plate-forme, l’expérience est finie » le Maire releva ses deux sourcils, signe majeur d’étonnement chez lui qui d’ordinaire n’en soulève qu’un « On enlève tout après toute cette histoire, mais pourquoi ? ça marche cette mitrailleuse, les gangs sont muets » « on arrête tout, ordre du ministre ». C’est ainsi que par l’intervention terrestre du Vatican, la mitrailleuse disparut du clocher et on ne la revit jamais plus. Certains disent qu’elle séjourne désormais dans les sous-sols du Moulin Bleu et que monsieur le Maire en prend grand soin ‘au cas où le besoin s’en ferait à nouveau sentir’. Il a par la suite été réélu sans coup férir grâce à cette histoire qui s’était mal finie pour la mitrailleuse, déposée de son piédestal, et pour moi, remercié sans indemnité de mon poste pour avoir ‘fait feu sans discernement et avec précipitation coupable sur un groupe d’êtres humains dans la fleur de l’âge’.
La mitrailleuse et la grande muette
L’explication de cette fin rapide me vint quelques années plus tard.
Responsable de la sécurité renforcée d’une station balnéaire du sud de la France, dont je garde le nom pour moi pour des raisons de sécurité personnelle, je croisai au cours d’une tournée matinale, un homme portant une cravate rayée. « Monsieur Jude ? c’est bien vous ? quelle surprise ? » il se tourna vers moi « Patrick ! je savais que vous étiez dans le Sud mais j’ignorais précisément où ! enchanté de vous revoir !! ».
Après les banalités d’usage sur la santé des épouses et le désespoir face à la mue annuelle des labradors, je lui posais LA question « Mais pourquoi avoir arrêté ? » « C’est à cause, entre autre, des protestants des juifs, des islamistes, des bouddhistes et des orthodoxes… » je regardai, yeux ronds, bouche ouverte, attendant une explication «Ah, j’oubliais les francs-maçons et sans doute encore d’autres associations diverses que j’ai oublié… » ajouta-t-il alors, puis avisant mon étonnement il poursuivit « oui, ils voulaient tous savoir pourquoi la mitrailleuse devait être bénie uniquement par le Pape et de quel droit elle était installée sur un clocher et pas sur un minaret ou sur un temple voire faire partie d’une loge » « Et alors ? » « Alors, pour éviter toute polémique le ministre a décidé de tout stopper ».
J’avais mon explication, la mitrailleuse était devenue trop célèbre… je m’éloignais lentement, songeur, quand il posa la main sur mon épaule « Vous voulez savoir le plus drôle de l’histoire ? » je ne répondis rien sachant qu’il avait envie de parler quelle que soit ma réponse « Et bien le plus drôle c’est que la seule structure qui est restée muette dans l’histoire c’est l’armée elle-même, elle a même refusé de récupérer la mitrailleuse !! »
Sur ce, il disparut dans une des rues attenantes et je n’eus pas le temps de lui dire que l’armée qui reste muette était finalement la seule chose cohérente de toute cette histoire.