Des livres et une cadole…

Des livres, une cadole…

Nouvelle dédiée à mon grand-frère Alain, grand amoureux des livres...

J’aime les livres… je les adore et ils me le rendent bien. Il n’y a rien de plus merveilleux, après une journée bien remplie, de découvrir ou poursuivre la lecture d’un livre…

Découvrir des pages couvertes d’images portées par autant de mots imaginés sous d’autres cieux, dans d’autres chambres…

Poursuivre la lecture d’une histoire qui a laissé, hier soir, le lecteur pantelant et trop fatigué pour continuer…

Découvrir la malignité d’un auteur qui emmène, là où personne n’imaginait aller…

Poursuivre le rêve d’un futur meilleur dans les paragraphes d’un lointain goulag…

Bref, la liberté dans une tête avec un corps immobile dans un lit ou sur une chaise, voire n’importe où !!

Aujourd’hui, je veux vous raconter un moment de ma vie intimement liée aux livres. Voici cette histoire, sans fioriture, telle qu’elle est gravée dans ma mémoire…

Un soir de l’année dernière, j’ai cédé à l’envie qui montait en moi… j’ai laissé au bord du lit, au coin du matelas, tout près de mon oreiller, le livre que je venais de lire…

Il m’avait emmené dans la montagne avec une jeune femme amoureuse des livres. C’était un peu comme la bibliothèque des Appalaches mais au lieu de laisser les livres aux lecteurs, elle les lisait devant des auditoires divers.

Dès le lendemain, ce livre isolé au coin du lit fut rejoint par un autre congénère… c’était l’histoire magnifique de voisins qui accompagnaient les derniers jours d’une cancéreuse. Un médecin généraliste l’avait écrit. J’avais adoré la bonté et la gentillesse qui effaçaient les moments tragiques se déroulant sous mes yeux.

Le troisième jour, un tout petit livre sur la mort d’un chien qu’on aimait trop… le quatrième jour… le cinquième jour … vous avez compris le processus…

Au dixième jour, j’ai rencontré un premier souci. La pile penchait. J’en ai donc commencé une seconde, juste à côté.

Après 2 mois de ce manège, le côté gauche de mon lit était occupé. J’ai pris le temps de les recompter… 263 livres, des petits, des gros, des épais et des fins, des très bons et des excellents, le best-of de mes lectures. Il y avait même un manga, c’est dire !

Le second souci fut alors de choisir entre plusieurs options. La première était d’arrêter ce stockage un peu enfantin, je l’admets. La seconde était de continuer l’accumulation. J’hésitais, fidèle à mon signe de naissance qui est celui de la Balance. Après avoir questionné mon entourage, celui-ci me fit part de son avis par un 100% de « mais arrête tes conneries et met les sur les étagères tes bouquins !! »

Fort de cet avis plein de bon sens, je décidai de continuer le stockage.

Il me fallait désormais décider sur quel bord du lit j’allais poser mes futures lectures… haut, bas, droite ? M’en étant ouvert à nouveau à mon entourage, qui n’avait ni rancune ni mémoire, l’avis obtenu fut peu constructif et décevant je dois le dire « fait comme tu veux, de toute manière tu n’écouteras pas… alors… ».

C’était un avis teinté de vérité car j’avais déjà décidé de poursuivre le stockage sur la partie haute du lit. J’avais réalisé que la proximité du mur allait me permettre de pouvoir stabiliser les futures piles de livres que j’envisageais de hauteur plus importante.

C’est ainsi qu’après 6 mois de lecture, je me retrouvai à nouveau bloqué dans mon projet. Le côté droit était plein, de même que le côté gauche et la tête de lit… l’angoisse me saisit. Allais-je devoir renoncer ? si j’accumulais des ouvrages au pied du lit, comment accéder au lit ? Fallait-il renoncer et investir dans un nouveau plumard ? Dans ce cas je me retrouverais séparé des amis que j’avais eu tant de mal à réunir autour de moi. L’idée était inacceptable.

Cette période fut difficile, je l’avoue.

Je tentais alors une chose impossible, poursuivre l’accumulation des livres sur la dernière partie encore libre tout en créant un accès au matelas me permettant de dormir après avoir lu chaque soir.

Faire une ouverture dans un mur de livres était un vrai challenge. Je me refusais à utiliser une planche ou autre objet me permettant de stabiliser la chose. Un mur en livres est un mur en livres, un point c’est tout !

J’entrepris de créer une ouverture ayant la forme d’une arche… Les éboulements d’ouvrages furent nombreux ! l’arc plein centre, le trilobé, le rampant, le doucine, furent impossibles à terminer. Que dire du zigzagué et de l’outrepassé qui proposaient tous deux de belles envolées mais qui se terminèrent invariablement par des éboulements dévastateurs.

Je dus me résoudre à faire simple malgré mon ambition initiale. C’est ainsi que l’arc triangulaire m’apporta une solution aussi simple qu’efficace.

Je pus continuer mon accumulation d’ouvrages pendant quelques jours.

Un beau jour, le troisième souci m’apparut dans toute sa complexité… j’allais droit vers un blocage… allais-je continuer les piles jusqu’au plafond ? ce serait une sorte de baldaquin… je pourrais ainsi achever mon œuvre quand tous les espaces entre le lit et le plafond seraient occupés.

Cette solution simpliste ne me satisfaisait en aucune manière… trop simple, trop classique, trop rectangulaire à mon goût… je devais trouver une autre solution.

Elle me vint au cours d’une promenade dans la campagne bourguignonne. Au croisement de deux sentiers dans le vignoble près du charmant village de Saules, je tombai en amour pour une cadole nichée entre deux vieux arbres. Les pierres se transformèrent immédiatement en livres. Je voyais les encyclopédies consolider la base, les poches entourer les ouvertures, les ABCdaires et les Ailleurs et Demain pourraient décorer la façade, j’imaginais quelques Carrément cuisine pour mettre de la couleur… L’épaisseur des murs me faisait miroiter la possibilité d’augmenter de manière sensible le nombre d’ouvrages pouvant être accumulés…

De retour à la maison, je me mis au travail…

Devrais-je dire que tout cela m’occupa quelques bonnes heures !! combien de fois la cadole en livres s’écroula dès les premières minutes avant même d’être terminée ? et cette fois où je posais avec délicatesse le volumineux premier tome des Mémoires de Guerre du Général pour terminer la voûte à quelques centimètres du plafond et que toute la cadole s’écroula dans un bruit de cascade feutrée !!

Enfin, après moultes essais infructueux, le miracle se produisit et je pus admirer ma cadole de livres posée sur mon grand lit « king-size » …

Je décidai d’inaugurer le mausolée dès le soir suivant… je fis pénétrer en premier un plateau sur lequel j’avais disposé une bouteille de vin jaune, un bol rempli de cerneaux de noix et un autre bol rempli de morceaux de comté 24 mois saupoudré d’un poivre de Sichuan…

Je commençai avec un bonheur indicible la dégustation de mon breuvage béni de 18 ans d’âge, ce qui en faisait tout de même un jeunot dans sa catégorie. Picorant alternativement dans les deux bols afin de faire naître ce sentiment de plénitude qui accompagne la dégustation de ce vin indescriptible, je décidai de téléphoner à mon frère.

Il avait émis, au cours de notre dernière entrevue, un avis plutôt mitigé sur mon projet de cadole. Il estimait qu’au lieu d’investir du temps à structurer une accumulation de livres, je ferais mieux de relire quelques vieux ouvrages sur des cristaux qui songent ou des Dirdirs en couleurs… dans un élan philosophique qui soulève généralement quand il parle de livres, il avait ajouté « je trouve anormal de laisser des étagères vides et normal de laisser la lumière atteindre les humains qui lisent ». Il avait sans nul doute totalement raison, mais mon orgueil m’avait empêché de le reconnaître puis de l’avouer…

Au moment où il décrocha, je remarquai un mouvement dans l’arc triangulaire qui m’avait, il est vrai, posé des soucis dès le début de la construction.

« alors ça y est tu es dans ta cadole en livres ? »

Je n’eus que le temps de lui dire « oui … » et la cadole s’écroula sur moi m’emprisonnant dans un étau de type mille-feuilles mille fois. C’est à ce moment là que j’ai regretté d’avoir voulu conserver l’idée de mettre en clé de voûte les Mémoires de Guerre version reliée. Mon crâne ne résista pas à cette agression…

Je me réveillai à l’hôpital. Mon frère était là.

Ses premières paroles furent de me faire part de son immense soulagement. Il m’avait retrouvé quasiment indemne bien qu’inconscient. C’est une jambe qui sortait de la cadole écroulée qui avait permis aux sauveteurs de me sortir de là sans avoir à fouiller plus avant.

Je le soupçonne d’avoir aussi fortement désiré me confirmer dès que possible, son opposition à cet insensé projet. C’est ce qu’il fit. A l’écoute de ces remarques pertinentes, le mal de crâne qui m’accompagnait depuis le premier instant de mon réveil ne fit qu’augmenter.

J’admets aujourd’hui que mon idée était un peu hasardeuse, voire quelque peu stupide.

Remis physiquement et moralement de cette désastreuse aventure qui avait bien fini, je vidai le lit et remplis les étagères.

Mes livres sont désormais sur les étagères et mon lit est débarrassé des restes de l’aventure.

Je viens de terminer une pile d’une vingtaine de bouquins sur ma table de nuit. Je vais la détruire car j’ai un repas de famille demain à midi.

Vous qui aimez les livres, vous êtes comme moi ! Vous cherchez le moyen de les garder au plus près de vous.

La petite folie douce, que je viens de vous raconter, vous aura fait sourire… mais derrière ce sourire, je sais que votre imagination galope et que vous construisez en rêve votre cadole …

Si je peux vous faire part de mon expérience récente, le triangle reste la seule solution même si la fragilité de la chose vous fera prendre quelques risques…

Le triangle, le triangle vous dis-je !

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